Dialogue et amnistie :  notre point de vue

6 mars 2024 | 0 commentaires

Depuis 2012, le « Peuple du Sénégal souverain » a assisté impuissant à la perpétuation de la mal gouvernance avec notamment, une rupture de l’égalité devant la loi des citoyens, un détournement par le Président de la République (PR) du pouvoir qu’il (le peuple) a délégué à l’Etat, pour la protection de ses alliés parentaux, amicaux ou politiques, mais surtout pour l’instrumentalisation des Forces de police (Gendarmerie nationale et Police nationale) et de la Justice dans une féroce entreprise de « réduction de l’opposition à sa plus simple expression », alors que la majorité qui gouverne a constitutionnellement l’obligation « de reconnaitre cette opposition comme un pilier fondamental de la démocratie et un rouage indispensable au bon fonctionnement du mécanisme démocratique » (voir Préambule de la Constitution).

Les nombreuses injustices charriées par les expressions de la mal gouvernance, et une tentative d’étouffement de l’émergence de politiciens qui attirent de nombreux citoyens, parce que tout simplement ils véhiculent des messages qui font renaitre l’espoir de la fin du système de mal gouvernance que le Peuple attend depuis 2000, ont provoqué, des manifestations, des affrontements violents, des arrestations arbitraires, des actes de torture et des traitements inhumains, cruels et dégradants commis par des nervis illégalement dotés d’armes à feu ainsi que par des agents incontrôlés des Forces de Police.

De nombreux homicides, des disparations, des blessures et d’importants dégâts matériels ont été conséquemment constatés dans la période du 1er février 2021 au 25 février 2024, qui est celle prise en compte par la proposition de loi d’amnistie, dont l’examen par l’Assemblée nationale a démarré le 05 mars 2024, comme suite de la décision prise par le PR lors du dialogue national des 26 et 27 février 2024. Cette proposition de loi a été élaborée, selon la Présidence de la République, dans un but « d’apaisement du climat politique et social ». Elle prévoit une amnistie qui couvrirait « tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d’infraction criminelle ou correctionnelle, commis tant au Sénégal qu’à l’étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques, y compris celles faites par tous supports de communication, que leurs auteurs aient été jugés ou non ».

Nous partageons ci-après notre point de vue sur le dialogue dont le pays a besoin (I.) et sur la proposition de loi d’amnistie (II.)

I- LE DIALOGUE DONT LE PAYS A BESOIN

Le dialogue dont le pays a besoin est celui qui permettra notamment, de mettre fin à la fracture entre les élites politiques qui s’est aggravée depuis 2012, avec les manœuvres antidémocratiques d’un Chef d’État qui s’était engagé à « réduire l’opposition à sa plus simple expression ». Le pays a besoin d’un dialogue qui permettra de resouder la Nation mais aussi de réformer la Constitution pour mieux l’adapter au besoin du peuple sénégalais et améliorer l’architecture institutionnelle de l’État et son fonctionnement, avec notamment la résolution des problèmes liés à la tenue du fichier électoral.

Le dialogue dont le pays a besoin devrait aussi aborder le « devoir de réparation » des grands dommages causés à l’État par tous ceux qui se sont accaparés exagérément des ressources financières, foncières, mobilières, immobilières, pétrolières, gazières, minières et maritimes, ou ont dilapidé le patrimoine de l’État, dans un « esprit de vérité, de sursaut patriotique, de repentance, de pardon et de réconciliation ». Ce « devoir de réparation » devrait permettre à l’État délégataire du « Peuple souverain » de recouvrer une grande partie des ressources qui lui ont été spoliées, tout en préservant l’honneur et la dignité de tous les coupables qui seraient prêts à se repentir, étant entendu que la vraie repentance comporte, pour tous les croyants, le respect de la « clause de réparation » des dommages causés.

Évidemment, un si important dialogue ne peut être initié et supervisé par un Président de la République qui est à un mois de la fin de son dernier mandat. Le dialogue organisé les 26 et 27 février 2024 ne devait pas se tenir pour discuter du choix d’une nouvelle date pour l’élection présidentielle, ni pour réfléchir sur l’après 2 avril 2024 au cas où il n’y aurait pas une élection permettant d’élire le futur Président de la République au plus tard le 01 avril 2024. Malgré tout, il s’est tenu et a accouché d’une date (2 juin 2024) qui est manifestement antinomique avec ce que le Conseil constitutionnel (CC) avait demandé au PR. Ce dialogue a aussi permis au PR d’annoncer sa ferme décision de faire adopter par l’Assemblée nationale la loi d’amnistie dont la proposition est susmentionnée.

II- A PROPOS DE LA PROPOSITION DE LOI D’AMNISTIE

Dans un « processus de pardon et de réconciliation », l’examen par l’Assemblée nationale de la proposition de loi d’amnistie adoptée le mercredi 28 février 2024 en conseil de ministres, a démarré le mardi 5 mars 2024 et concerne comme indiqué plus haut « tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d’infraction criminelle ou correctionnelle commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu’à l’étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques, y compris celles faites par tous supports de communication, que leurs auteurs aient été jugés ou non ».

Pour un véritable « apaisement du climat politique et social », il importe de prendre en compte le fait que sociologiquement, pardonner suppose, en toute vérité, de bien connaitre celui qui vous a causé un tort et que celui-ci accepte de se repentir. Dès lors, toute opération d’« apaisement du climat politique et social » ou de « pardon et de réconciliation » doit être précédée d’une « opération justice et vérité », en vue de déterminer, les responsabilités des uns et des autres (Gendarmerie nationale, Police nationale, nervis et manifestants) dans les disparitions et les homicides ; les causes profondes des troubles à l’ordre public, et les insuffisances dans la manière dont les Forces de police les ont gérés, afin de pouvoir prendre des mesures adéquates (sanctions, lois et règlements, formation, …) qui permettraient d’éviter que les mêmes faits se reproduisent.

Après les événements de mars 2021, le Gouvernement avait produit un Mémorandum identifiant l’opposant politique M. Ousmane Sonko comme le principal responsable des émeutes qui avaient occasionné « treize (13) décès, plus de trois cent (300) blessés parmi les manifestants et plus de cent (100) du côté des forces de l’ordre » et des « dégâts et pertes matérielles inestimables ». Le Gouvernement avait cependant annoncé la mise en place d’une « Commission d’enquête libre et indépendante », qui devait « faire toute la lumière sur ces malheureux événements et surtout situer les responsabilités ». Malheureusement cette commission n’a jamais été mise en place.

Plus tard, en juillet 2023, quand M. Ousmane Sonko a été arrêté, le Procureur de la République M. Abdou Karim Diop a annoncé son implication dans cinq (5) dossiers (Mortal Kombat, Forces spéciales, Commando, Cocktail Molotov, et Combat final)et indiqué que les « enquêtes menées ont identifié Sonko comme instigateur principal de ces troubles ».Il avait conséquemment retenu contre lui les charges suivantes : « Appel à l’insurrection, association de malfaiteurs, atteinte à la sûreté de l’État, complot contre l’autorité de l’État, actes et manœuvres à compromettre la sécurité publique et à créer des troubles politiques graves en lien avec une entreprise terroriste, ainsi que pour vol ».

Dans la première quinzaine de septembre 2023, le doyen des juges d’instruction, M. Oumar Maham Diallo a décidé de poursuivre M. Bassirou Diomaye Faye pour les charges retenues contre M. Ousmane Sonko à l’exception du vol, alors qu’il était en détention « pour diffusion de fausses nouvelles, outrage à magistrat et diffamation envers un corps constitué, à la suite de la publication d’un post sur les réseaux sociaux où il critiquait le comportement de certains magistrats ».

Dans cette affaire d’homicides au cours des manifestations, l’État, n’a donc pas correctement assumé ses responsabilités, en mettant en place la Commission d’enquête libre et indépendante, préférant politiser le bilan macabre de ces manifestations, qui en toute vérité, ne peut être imputé exclusivement aux principaux responsables du parti politique dissout, compte tenu notamment des informations avérées contenues dans le Mémorandum du Mouvement pour la Défense de la Démocratie (M2D) « sur les évènements de février – mars 2021 au Sénégal » et dans le Mémorandum de l’Ex-parti Pastef paru sous le titre « Lumière sur les violences de l’état du Sénégal contre les populations civiles avant, pendant et après la décision judiciaire du 1er juin 2023, présenté par Ousmane Sonko ».

L’État n’a pas fait preuve de transparence, d’esprit de justice et de vérité au sujet des disparitions suspectes, des exécutions sommaires, des homicides, des blessures et des dégâts matériels dont certains ne sont pas liés aux manifestations de février-mars 2021, juin 2023 et février 2024, alors que le peuple souverain a le droit d’être bien informé, et qu’un État qui veut tirer des leçons et améliorer son fonctionnement, a besoin de savoir ce qui s’est réellement passé, afin de pouvoir déterminer, de manière inclusive, ce qu’il faut pour que des faits pareils ne se produisent plus.

Par ailleurs, du fait de ses engagements internationaux, le Sénégal reconnait le principe de l’imprescriptibilité de certaines infractions graves au sens des articles 7 et 29 du « Statut de Rome de la Cour pénale internationale ». En vertu de ces articles, les « actes de torture » et les « autres actes inhumains (…) causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale » qui ont été « systématiquement commis sur une partie de la population civile » partisane du responsable du parti politique dissout, sont hors du champ d’une éventuelle loi d’amnistie.

C’est pour cela, que nous exprimons notre opposition à cette proposition de loi d’amnistie, dont le vote par l’Assemblée nationale serait une prime à l’impunité et un obstacle à une opération sincère de « vérité, justice, pardon et réconciliation ». Cette précipitation pour l’adoption d’une loi d’amnistie serait principalement motivée par la volonté du PR d’assurer sa propre protection en tant qu’éventuel donneur d’ordre aux responsables des Forces de Police, celle des nervis et de leurs commanditaires, ainsi que celle des agents des Forces de police qui ont commis des homicides totalement injustifiés comme ce policier qui, à Dakar, le 08 mars 2021, a abattu froidement un nommé C. W.

Au moment où notre pays traverse la plus grave crise de son histoire, nous rendons hommage à ceux qui ont bâti la Nation sénégalaise, dont la solidité est telle que, quelles que soient les turpitudes des uns et des autres, quels que soient les préjudices causés à l’Etat, délégataire du « Peuple souverain », avec les nombreuses victimes collatérales, les sénégalais arrivent toujours à se retrouver et à se pardonner. Cependant, il est temps que nous adoptions des conduites conformes aux exigences de notre état de musulman, de chrétien et d’animiste, en étant conscients du fait que la vie politique ou professionnelle n’est pas en dehors de la surveillance de Dieu, Maître du « Jour de la Reddition des comptes » dans l’Au-delà. Il importe enfin que « le devoir de réparation » soit effectivement mis en œuvre, avec fermeté et humanité (non antinomiques), après l’échec des audits en 2000 et de la traque des biens mal acquis en 2012, pour arrêter définitivement les malversations sciemment commises par les politiciens qui se relaient à la tête du pays, et que les vérités soient dites, pour que la justice et l’équité, sans lesquelles, il ne peut y avoir de « paix véritable » règnent finalement dans notre pays.

Le futur Président de la République devra s’atteler prioritairement à la construction du « sénégalais nouveau » dont les rapports avec ses concitoyens et avec les personnes morales (Etat, Organe employeur Communauté d’appartenance) seront fondés sur l’amour, la vérité et la justice.

Tabasky Diouf, Colonel de Gendarmerie à la retraite

Grand Officier de l’Ordre national du Lion et Commandeur de l’Ordre du mérite

Membre de l’Initiative Citoyenne Jog Ngir Senegaal

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