Monsieur Amadou Lamine SALL : A défaut d’être cohérent, soyons ambitieux

7 juin 2024 | 1 commentaire

C’est avec un réel plaisir et avec beaucoup d’intérêt  que nous avons parcouru votre article intitulé : « Le wolof comme langue nationale officielle  à la place du français ? » Un article dans lequel l’auteur fait, sans ambages, la promotion du français malgré ses détours, ses interrogations, ses suggestions et autres mises en garde, pour toute suspicion de volonté d’ériger le wolof en langue officielle. Le discours est clair et la volonté manifeste de prouver que le français est encore plus qu’indispensable pour rendre un service pour lequel nos langues ne seraient pas prêtes .

Abordant la question de la démocratie des langues, la réflexion  en vient à oublier que ce français est lui aussi une langue mais  l’ élan partiel, partial, sélectif et réducteur a soustrait malencontreusement celui-ci de ce principe de démocratie. Vous avez crevé le plafond, aurait on dit si nous étions à Wall Street, par le choix d’un paradigme « décapité » qui n’a pas sa place dans le concert linguistique, de la sociolinguistique et de la planification. Est il impossible de voir le français cohabiter avec des langues nationales avec les mêmes statuts ? Soutenir qu’une langue nationale peut avoir le statut de langue officielle ne veut pas, de facto , dire que le français serait banni. Il s’agira  du statut officiel pour toutes et d’ un statut de langues d’instruction exclusivement pour celles sénégalaises afin de favoriser le «  travail de réflexion » et non celui de «  mémoire » décrié par notre C. Anta DIOP. Beaucoup d’avocats de la langue française, comme vous , aiment citer ces sommités que l’école française a produite, ici et ailleurs, oubliant totalement que ce système d’immersion sélectif et élitiste a vu, à l’inverse, plus de ¾ des élèves quitter l’école a cause de ce même français . Pour en finir avec ce registre dont vous êtes si élogieux, nous trouvons tout simplement hilarant de prendre Jean Dard comme précurseur dans ce domaine. Le français, a été et s’il ne l’est pas encore aujourd’hui , un outil de dénégation des cultures autochtones. C’est en ce  sens qu’il faudrait comprendre l’utilisation du wolof comme un faire valoir afin de leurrer nos parents. Ce qui devrait être perçu comme une insulte à notre intelligence est exhibé, de façon déplorable, comme un trophée de guerre .

Dans la deuxième partie de la réflexion, une série de question interronégatives à  l’encontre des défenseurs des langues nationales, de la langue wolof plutôt, nous coupe le souffle. L’une d’elles, illustre un jusqu’au boutisme de votre part si les langues nationales devraient rejoindre au moins le français ou le remplacer. « Utiliser des hiéroglyphes » , persiflez vous ?

 On devrait changer le caractère latin qui a permis d’écrire nos langues ? Cet alphabet est il propriété de votre client, le français ? Le français, ne l’a-t-il pas pris du latin et le latin du phénicien ? En viendriez-vous à oublier le caractère universel du savoir scientifique ? Iriez-vous jusqu’à ignorer les principes de l’Alphabet International Africain (AIA) proposé en 1927 ?  La revitalisation d’une langue ne consiste pas à un voyage dans les premiers siècles mais, à l’adapter aux exigences du moment pour épouser le contemporain. Faire un retour au moyen âge serait anachronique.

La simplicité est l’un des premiers principes de l’orthographe. C’est en ce sens d’ailleurs qu’à chaque fois on assiste à des améliorations de l’orthographe du français.

Ainsi l’AIA a opté entre autres pour :

  • Une lettre pour chaque pour la correspondance graphophonologique.
  • L’utilisation de l’alphabet latin dont nous sommes familiers
  • La faible utilisation des diacritiques entre autres pour rendre l’orthographe facile et accessible.

Songer changer cette orthographe reviendrait à bruler des bibliothèques. On ferme ici la parenthèse d’un article aux élans romantiques dont le clair est de l’expression des émotions et des rêves dans une tentative de réponse plus ou maladroite pour poser le vrai débat.

Le titre de l’article est intrigant et avilissant au titre qu’on puisse s’émouvoir qu’une langue nationale soit érigée en langue officielle à la place du français. On ne peut pas autant se mésestimer. L’intrigant dans votre titre, s’il y en a, serait bien cet emploi du singulier pour le mot « langue » et votre choix délibéré de prendre le wolof comme exemple. L’occasion était grande pour vous d’interpeler vos interlocuteurs qui font fi du caractère multilingue du Sénégal.

 Et c’est bien par là que nous comptons poser le débat sur la question des langues au Sénégal. Il ne peut être ici  une question d’exclure une langue mais de les promouvoir. Si vous dites que la question  est  posée depuis Jésus alors, nous en tirons la conclusion que nous avons tellement perdu de temps que nous ne pouvons plus nous payer le luxe d’en perdre davantage. Vos interrogations sur la modernisation de nos langues révèle bien que vous  n’êtes pas au parfum de ce qui se passe aujourd’hui. N’allez pas dans les années 80 Monsieur. Dans les années 2000 l’expérience des programmes bilingues avec six langues à l’élémentaire a donné des résultats bien meilleurs que le modèle monolingue avec le français. Encore que ce n’était que des programmes bilingues. Si c’était un système pleinement bilingue , les résultats seraient bien meilleurs encore. Aujourd’hui au Sénégal, c’est plus de cinq mille classes en langues nationales. Une mise à jour ne vous ferait pas de mal !

Tout n’a pas était certes fait mais le travail intellectuel abattu  dans nos langues va bien au-delà de ce qu’on peut imaginer. Libérez-vous alors, et au plus vite, du mythe des langues car vous êtes parmi ceux qui doivent le déconstruire. Mais malheureusement vous vous trompez toujours et encore malheureusement chaque jour  un peu plus avec ce français comme œillère.

Le vrai débat  cependant serait celui-là de parler de langues nationales officielles aux cotés du français  qui est aujourd’hui  un héritage bien sénégalais. La constitution cite les six langues promues par décret en 1971 et y ajoute toute autre langue nationale codifiée. Ce qui peut paraitre comme une erreur de langue car l’acte de codification devrait élever ces dernières en langues officielles et langues de travail car leur statut de langues nationales a le même âge que la nation sénégalaise. A partir de ce principe démocratique qui respecte la dignité de la langue et le caractère inclusif, suivront les fonctions. Il ne s’agira  pas de partir des à priori mais sur la base d’études rigoureuses pour un organigramme cohérent des langues : les locuteurs, la population, les secteurs, les ères, les fonctionnalités, les travaux scientifiques, littéraires et de traductions. De ces quelques critères, se dégagent déjà un bon groupe de langues :

Pour une dimension nationale : Joola, mandinka pulaar, serere, soninke et wolof

Sous régional mandinka, pulaar soninke

Régional et africain : pulaar avec des variétés dialectales mutuellement  intelligibles

Le pulaar est,  à ce jour, la seule langue sénégalaise qui peut prétendre avoir une place à l’assemblée de l’UA et partant  de l’ONU. Elle est une langue pour la diplomatie et une langue pour la culture sénégalaise car elle permet de s’adresser à plusieurs locuteurs dans presque ¾ des états de l’Afrique.

L’urgence est aujourd’hui d’exiger de nos autorités de la mise en place d’un institut des langues pour harmoniser ce travail titanesque que des volontaires locuteurs abattent chaque jour.

Ousmane SY
Enseignant au lycée de Donaye-Taredji
E mail : ousmanesy30@gmail.com

1 Commentaire

  1. Mamadou Lamine NGAIDE

    M. Ousmane SY a le mérite de dénoncer le parti pris des autorités de ce pays et d’une frange de la population, de certains prétendus intellectuels en particuler de hisser indûment le wolof au-dessus des autres langues nationales.
    Il faut un travail sérieux, documenté et objectif, un travail qui prenne en compte la dimensin nationale, sous-régionale, régionale, africaine et véritablement internationale pour attribuer un certain statut à une quelconque de nos langues.
    Agir autrement serait inopérant, parce que ne pouvant rendre à nos nations le service escompté. Mamadou Lamine NGAIDE

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