Abrogation de la loi d’amnistie : Notre humble avis

15 décembre 2024 | 0 commentaires

Les avis divergents des « sachants » sur l’abrogation envisagée de la loi d’amnistie du 13 mars 2024 nous confortent dans notre obligation de reformuler l’avis que nous avons exprimé dans un article intitulé « Pour un changement à la tête de l’OFNAC » publié le 23 novembre 2024, étant intimement convaincu que notre recommandation pourrait être une solution consensuelle.

Cet article est articulé autour des points suivants :motivations profondes du vote de la loi d’amnistie (I.) ; justifications du caractère indispensable de l’abrogation ou de la clarification de la loi (II.) ; attitude souhaitable des membres du Conseil constitutionnel (III.), et recommandation (IV.).

I.       Motivations profondes du vote de la loi d’amnistie

La loi no2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie dispose en son article premier : « Sont amnistiés, de plein droit, tous les faits, susceptibles de revêtir la qualification d’infraction criminelle ou correctionnelle, commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024 tant au Sénégal qu’à l’étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques y compris celles faites par tous supports de communication, que leurs auteurs aient été jugés ou non ». Dans l’exposé des motifs, il est indiqué notamment : « Dans le but d’apaisement du climat politique et social, de renforcement de la cohésion nationale, de consolidation du dialogue national, et afin de permettre à certaines personnes qui ont eu maille à partir avec la justice de participer pleinement à la vie démocratique, monsieur le Président de la république entend poursuivre la mise en œuvre des mesures de décrispation, au-delà du droit de grâce que lui reconnait la Constitution. »1

Cette belle justification officielle de la loi d’amnistie contraste avec les véritables motivations de l’ex Président de la République Macky Sall (ex PR) qui doivent être prises en compte dans l’appréciation de la justesse de cette loi dont l’abrogation est réclamée par un nombre très important de citoyens.

En vérité, l’ex PR a fait voter cette loi d’amnistie pour se protéger, en tant que donneur d’ordres, et pour mettre à l’abri, ceux qui ont recruté et armé les nervis qui sont les principaux coupables des homicides commis entre 2021 et 2024 ; les agents des Forces de police et les nervis auteurs d’actes de tortures et de traitements cruels, inhumains et dégradants ; les policiers et gendarmes qui ont fait emprisonner de nombreux citoyens en créant de toutes pièces de fausses accusations, ainsi que les Procureurs de la République et les juges qui ont abusivement mis sous mandat de dépôt des innocents dans le cadre de ce qui ressemblait fort bien à une entreprise de neutralisation des membres les plus actifs du parti des « Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité » (PASTEF) dissout, même en dehors des troubles à l’ordre public.

Cette volonté de l’ex PR de protéger les coupables est principalement étayée par le fait que la « Commission d’enquête libre et indépendante » que le Gouvernement avait annoncée dans le Mémorandum produit après les événements de février – mars 2021 n’a jamais été mise en place, simplement parce que les rapports des responsables des Forces de police (Gendarmerie nationale et Police nationale / FdP) auraient révélé que les principaux auteurs des homicides étaient les nervis que ses alliés politiques avaient recrutés et armés illégalement. L’appartenance des commanditaires de ces nervis a été fournie en juin 2023 par les images de la présence au siège du parti politique Alliance pour la République (APR) de ces véhicules qui transportaient ces crapules sans que les responsables de la Justice et des FdP aient pris les mesures qui s’imposaient pour arrêter ces hors la loi qui intervenaient illégalement dans des opérations de maintien et de rétablissement de l’ordre qui relèvent exclusivement des FdP.

En fait, c’est l’évolution des choses dans un sens contraire à ses « peexe » (manœuvres), dans une « séquence antidémocratique du jeu politique » qu’il avait ouvert à partir du 3 février 2024, qui avait poussé l’ex-PR à faire voter hâtivement cette singulière loi d’amnistie pour les raisons susmentionnées.

En effet, avant le 26 fevrier 2024, date à laquelle cette loi d’amnistie a été mentionnée pour la première fois, l’ex PR avait à deux (2) reprises évoqué publiquement ou officiellement une amnistie, mais celle-ci ne visait que les sieurs Karim Wade et Khalifa Sall.

La première fois c’était dans un entretien accordé à France24, et rapporté par Dakaractu le mardi 13 novembre 2018, au moment où le processus électoral pour l’élection présidentielle de 2019 était lancé sans la participation de Messieurs Karim Wade et Khalifa Sall qui ont été « malicieusement » écartés. À cette occasion, il avait dit : « Je ne peux pas parler d’amnistie pour les deux parce que cela ne vient pas de moi, alors ce débat ne me concerne pas. Toutefois, je ne peux pas écarter en tant que Sénégalais, dirigeant et Président de la République, dans une circonstance nouvelle de réélection, si c’est la volonté des Sénégalais, d’engager une nouvelle phase de reconstruction nationale dans un esprit de renouveau et de consensus national. Je pense qu’il faut savoir tourner les pages aussi. » 

La deuxième fois c’était en Conseil des ministres du 28 septembre 2022 où, « abordant la consolidation du dialogue national et l’ouverture politique, l’ex PR avait demandé, en prévision de l’élection présidentielle de 2024, « au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice d’examiner, dans les meilleurs délais, les possibilités et le schéma adéquat d’amnistie pour des personnes ayant perdus leurs droits de vote ». Mais, il importe de noter qu’à cette date Messieurs Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Diakhar Faye n’étaient pas concernés, car les deux condamnations en première instance de M. Sonko pour les affaires contre Mame Mbaye Niang et Adji Sarr sont intervenus les 30 mars 2023 et 1er juin 2023, et M. Faye n’a été mis sous mandat de dépôt que le mardi 18 avril 2023.

Pour cette élection présidentielle de 2024, le Conseil constitutionnel avait, par la Décision no2/E/2024 du 20 janvier 2024, publié la liste définitive des vingt (20) candidats retenus. Messieurs Bassirou Diomaye Diakhar Faye, Cheikh Tidiane DIÈYE, Habib SY et Déthié FALL, tous des alliés de M. Ousmane Sonko figuraient dans ladite liste parallèlement au rejet de  la candidature de M. Karim Wade, alors que l’ex-PR aurait promis en 2019 à son père sa participation à cette élection de 2024, suivant ce qui serait le « Protocole de Conakry », et ce malgré sa condamnation par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) le 23 mars 2015 à une peine de six (6) ans d’emprisonnement et une amende de 138 milliards de francs CFA (209 millions d’euros) non encore libérée.

Dès que cette Décision du 20 janvier 2024 a été publiée, et compte tenu des résultats de sondage officieux, l’ex-PR a su que son candidat (M. Amadou Ba) avait peu de chance de remporter l’élection et qu’il ne pourrait pas faire élire quelqu’un qui perpétuerait son système de gouvernance prédateur et injuste, C’est alors qu’il s’est engagé, comme à son habitude, dans des « peexe » pour bouleverser et faire reprendre le processus électoral, en signant l’antipatriotique décret no2024-106 du 03 fevrier 2024 portant abrogation de celui par lequel le corps électoral a été convoqué pour l’élection présidentielle du 25 fevrier 2024 et en faisant voter par les députés de « Benno Bokk Yaakaar » et du Parti démocratique sénégalais (PDS) la loi scélérate no4/2024 du 5 fevrier 2024 portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution.

Face à la patriotique et ferme opposition du Conseil constitutionnel matérialisée par la Décision no1/C/2024 du 15 février 2024 par laquelle, elle a annulé le décret du 3 février 2024 ; déclaré contraire à la Constitution la loi du 5 fevrier 2024, et « invité les autorités compétentes à tenir l’élection présidentielle dans les meilleurs délais », l’ex-PR a commencé à faire dans le dilatoire en espérant pouvoir « reprendre la main » dans cette « funeste séquence du jeu politique » avec notamment cette convocation d’un « dialogue national ».

C’est le 26 fevrier 2024 dans son discours d’ouverture de ce « pseudo-dialogue national » qui, en toute vérité, devait aider l’ex-PR à gagner encore du temps dans ses « peexe », qu’il a notamment affirmé : « Notre pays se retrouve à un carrefour important. Mon souhait c’est que nous puissions aller vers une élection apaisée, inclusive et transparente. A cette fin, et dans un esprit de réconciliation nationale, je saisirai l’Assemblée nationale d’un projet de loi d’amnistie générale sur les faits se rapportant aux manifestations politiques survenues entre 2021 et 2024 ».

Cette idée d’une loi d’amnistie pour « une élection apaisée, inclusive et transparente » n’a donc pas été une proposition, ni des participants au « dialogue national », ni une initiative de l’Assemblée nationale, mais une décision unilatérale de l’Ex-PR qui pourtant avait affirmé le 13 novembre 2018 qu’« il ne peut pas parler d’amnistie pour les deux parce que cela ne vient pas de lui » et que « ce débat ne le concerne pas ». Cette décision abusive a été confirmée par l’examen et l’adoption du projet de loi d’amnistie le 28 février 2024 en Conseil des ministres, donc bien avant la réception du « rapport du dialogue national » le 04 mars 2024. Parler en ce moment d’une « élection inclusive », au moment où le processus était irréversiblement lancé, relevait très certainement d’une malhonnêteté intellectuelle, et traduisait le mince espoir que l’ex-PR avait toujours de pouvoir tout remettre en cause après avoir échoué, cette fois, à réduire l’opposition à sa plus simple expression en vue de l’élection présidentielle de 2024.

En fait, resté fidèle à sa volonté de réduire l’opposition à sa plus simple expression, en totale violation de son serment et contre la volonté du peuple sénégalais qui a proclamé dans le Préambule de la Constitution « la volonté du Sénégal d’être un État moderne qui fonctionne selon le jeu loyal et équitable entre une majorité qui gouverne et une opposition démocratique, et un État qui reconnaît cette opposition comme un pilier fondamental de la démocratie et un rouage indispensable au bon fonctionnement du mécanisme démocratique », l’ex-PR qui avait fait éliminer Karim Wade et Khalifa Sall de l’élection présidentielle de 2019 avait entrepris, en prévision de celle de 2024, d’en faire de même avec M. Ousmane Sonko qui constituait une menace avec les 15,67% qu’il avait obtenu en 2019 et de l’engouement croissant qu’il suscitait.

Il s’était alors acharné, avec un Ministre de l’Intérieur, une Administration territoriale, des Forces de Police, des juges et des Procureurs de la République aux ordres, ainsi qu’avec des nervis illégalement recrutés et armés, sur une « partie bien identifiée de la population civile » constituée principalement de membres du parti des PASTEF et de citoyens dont le seul tort était d’afficher leur amour pour M. Ousmane Sonko par des déclarations publiques, des interventions dans les réseaux sociaux, le port du bracelet et la photo de leur leader. Malgré l’abandon de son projet de troisième candidature3, il avait maintenu le processus de disqualification d’Ousmane Sonko en espérant pouvoir faire élire son candidat au premier tour de l’élection de 2024.

C’est donc parce que la survenance de cette situation, marquée par les quatre (4) candidatures susmentionnées et la ferme et patriotique opposition du Conseil constitutionnel portée par sa décision du 15 février 2021, présageait la prise du pouvoir par un allié de M. Ousmane Sonko que l’ex-PR avaient décidé de faire voter en urgence la loi d’amnistie pour se protéger et en faire de même pour tous ceux qui l’avaient aveuglément soutenu dans ses abus.

La libération de Messieurs Bassirou Diomaye Faye et de Ousmane Sonko et de tous les autres n’a été qu’une mesure destinée à camoufler l’objectif principal d’autoprotection et de protection évoqués plus haut. Si les députés du parti des PASTEF n’avaient pas attaqué cette loi d’amnistie devant le Conseil constitutionnel, c’est très probablement parce qu’ils savaient que les parents des détenus politiques n’apprécieraient pas une opposition à cette loi qui, en permettant leur libération immédiate, abrégeait les souffrances de tous ceux-là qui ont été arbitrairement mis sous mandat de dépôt sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces par des Officiers de police judiciaire de la Gendarmerie nationale et de la Police nationale « égarés ».

II. Justifications du caractère indispensable de l’abrogation ou de la clarification de la loi.

Le peuple du Sénégal qui, le 24 mars 2024 a voté à plus de 54% pour le candidat de cette « partie bien identifiée de la population civile » qui avait fait l’objet d’une terrible et abusive répression, n’était donc pas demandeur de cette loi d’amnistie du 13 mars 2024 et souhaiterait, dans son écrasante majorité, que les vérités éclatent et que réparations se fassent dans les meilleures conditions possibles.

Dans un article paru le 04 décembre 2024, le Docteur Tabouré AGNE4, se prononce sur l’intangibilité des droits acquis, sur la non-rétroactivité des lois au regard de ces crimes graves et fourni des exemples de crimes exclus de l’amnistie et des exemples jurisprudentiels d’annulation de lois d’amnistie. Il indique notammentque « Lorsqu’il s’agit de crimes graves, comme les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre ou les violations massives des droits humains, les tribunaux peuvent juger que l’intérêt supérieur de la Justice prime sur l’intangibilité des droits acquis. Ces crimes étant souvent considérés comme imprescriptibles, ils ne peuvent être couverts par une amnistie, conformément aux normes internationales.  (…). « Lorsqu’il s’agit de violations graves des droits de l’Homme, les engagements internationaux en matière de droits humains peuvent l’emporter, permettant ainsi l’annulation des lois d’amnistie qui protègent les auteurs de crimes graves »

La non conduite des poursuites, qui étaient envisagées et annoncées publiquement le 08 avril 2021, lors de la présentation du « Mémorandum du gouvernement sur les événements de février – mars 2021 », pour les crimes contre l’humanité commis en fevrier-mars 2021 et tous les autres perpétrés par la suite, est une preuve de la carence de l’État du Sénégal qui justifierait l’implication de la Cour pénale internationale « en tant qu’institution permanente » qui « est complémentaire des juridictions pénales nationales »

Au-delà de la « responsabilité individuelle » des nervis « qui ont agi de concert », tous les commanditaires qui les ont recrutés, armés et dotés de moyens de transport sont conjointement responsables des crimes qu’ils ont commis conformément à l’article 25 (« Responsabilité pénale individuelle ») Point 3 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. La mise en œuvre de ces responsabilités répond à des principes énoncés par l’article 27 (« Défaut de pertinence de la qualité officielle ») qui énonce que « le présent Statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle ». Par ailleurs l’article 28 relative aux « Responsabilités des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques » met clairement en exergue les conditions d’engagement de la responsabilité de ces derniers et permet d’affirmer que les autorités de commandement et de direction des FdP qui ont laissé les nervis agir aux côtés des troupes régulières ont aussi une part de responsabilité dans les crimes qu’ils ont commis, pour avoir facilité leurs illégales interventions au maintien et rétablissement de l’ordre.

Les Procureurs de la République et les hauts responsables du Pouvoir judiciaire dont notamment les Chefs de l’Inspection Générale des Cours et tribunaux, de l’Inspection générale des parquets et les Procureurs généraux près les cours d’appel qui doivent, par leurs inspections, leurs contrôles et leurs orientations en vertu des articles 114 à 117 et 114 à 117 de la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême, veiller à une bonne « administration de la justice » ont une part de responsabilité dans le fait que la conduite des enquêtes relatives aux crimes contre l’humanité, évoqués plus haut n’ait pas été systématisée.

Parmi les crimes contre l’humanité listés à l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, imprescriptibles selon l’article 29, il y a six (6) qui ont été impunément commis sous l’ex PR. Nous avons : le « meurtre (a) » ; l’« Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international (e) » ; la « Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, … (h) » ; les « disparitions forcées de personnes (i) » et les « autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale (k) ».

III.    Attitude souhaitable des membres Conseil constitutionnel

Hommage est rendu aux sept (7) sages qui, par leur courage et leur patriotisme ont pu, avec l’aide de Dieu, obtenir qu’un Président de la République ait été élu avant le 02 avril 2024. Du fait de leur position dans l’architecture de l’État, les membres du Conseil constitutionnel doivent être les premiers défenseurs de la vérité, de la justice, de la paix, de l’ordre public, de la cohésion sociale et de la primauté inconditionnelle de l’intérêt général sur tous les intérêts particuliers, au moment où, des politiciens, aveuglés ou égarés par diverses passions peuvent édicter des lois ou des règlements manifestement injustes, liberticides, détachables de l’intérêt supérieur de l’État ou destinés à contourner ou fausser les règles de la démocratie, de l’État de droit, de la gestion vertueuse des ressources et de la transparence dans la gestion des affaires publiques.

Enfin, les membres du Conseil constitutionnel qui ont une grande liberté dans l’interprétation des lois ont l’obligation de se détacher de tout juridisme étroit destiné à couvrir des injustices ou à protéger des criminels qui veulent ne pas assumer tous les méfaits qu’ils ont sciemment et égoïstement commis au détriment de l’État et des victimes innocentes.

IV.     Recommandations

Il ne peut y avoir de paix sans justice, et il n’y a pas de justice et de réconciliation sans la vérité, la repentance et le pardon. Une loi d’amnistie ne doit pas faire perdre à l’État, personne morale délégataire du Peuple souverain, « le droit et le devoir de faire mener des investigations » pour savoir quelles ont été les motivations des sénégalais qui, entre 2021 et 2024, ont été les auteurs, les complices ou les commanditaires des homicides, des tortures, des actes inhumains, cruels et dégradants ainsi que des disparitions ou exécutions extrajudiciaires, afin qu’il puisse prendre des mesures pour l’indemnisation des victimes et des ayants droits, mais surtout pour l’élaboration, en toute connaissance de cause, de lois et règlements qui permettraient d’éradiquer définitivement ces mauvaises pratiques des politiciens et participeraient à la « guérison de cette fracture entre les élites politiques du Sénégal vielle de près de 62 ans ».

C’est pourquoi dans un article intitulé « Pour un changement à la tête de l’OFNAC » publié depuis le 23 novembre 2024 nous avons écrit : « Même si le fait qu’il sera impossible de revenir sur les effets qu’elle a déjà produits (…) peuvent constituer un obstacle à l’abrogation de la loi d’amnistie, il apparait que le Conseil constitutionnel pourrait, sur une requête du Président de la République, préciser le champ d’application de cette loi d’amnistie. Notre humble point de vue est que le Conseil constitutionnel devrait pouvoir affirmer que l’achat d’armes en dehors des procédures régulières ainsi que le recrutement de nervis, leur armement et les homicides qu’ils ont éventuellement commis, sont en dehors du champ de la loi d’amnistie (…). Le Conseil constitutionnel devrait aussi pouvoir, sur la base des engagements internationaux du Sénégal qui reconnait le principe de limprescriptibilité de certaines infractions graves au sens des articles 7 et 29 du « Statut de Rome de la Cour pénale internationale », indiquer que les « actes de torture » et les « autres actes inhumains (…) causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale » qui ont été « systématiquement commis sur une partie de la population civile » sont hors du champ de la  loi d’amnistie. »

Dans une publication relative aux «techniques d’interprétation du juge constitutionnel sénégalais », M. Abdoul Aziz Daba Kébé Maître de Conférences agrégéécrit notamment : « Le ton est lancé dès 1993 lorsque le Conseil constitutionnel sénégalais déclare que « ni le silence de la loi ni l’insuffisance de ses dispositions, n’autorisent le Conseil compétent en l’espèce, à s’abstenir de régler le différend porté devant lui ; qu’il doit prononcer par une décision en recourant, au besoin, aux principes généraux du droit, à la pratique, à l’équité et à toute autre règle compatible avec la sauvegarde de l’État de droit et avec l’intérêt commun » 5.

Nous voudrions pour soutenir davantage notre recommandation qui est reformulée ci-dessous, faire remarquer que dans une Note parvenue à Seneweb6 et publiée le 01 décembre 2024, l’éminent Professeur Ismaila Madior Fall a notamment écrit : « Avant même que ne soit envisagé le vote de la loi, le Président de la République peut, après avoir mesuré l’intensité de la controverse juridique et la sensibilité politique et sociale de la question, saisir le conseil pour avis. Il s’agira juste de mettre en œuvre les dispositions de l’article 92 nouveau de la Constitution qui prévoit en son alinéa 2 que « le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de la République pour avis ». »

Conséquemment nous recommandons humblement :

1.  Que le Président de la République saisisse en urgence le Conseil constitutionnel pour avis en application de l’article 92 (alinéa 2) de la Constitution, et

2.  Que les sept (7) sages du Conseil constitutionnel prennent une « décision interprétative » de la loi d’amnistie no2024-09 du 13 mars 2024 par laquelle, ils vont exclure de son champ d’application les crimes graves susmentionnés. Cette « Décision » qui aurait la valeur d’une loi serait « non susceptibles d’aucune voie de recours et s’imposerait aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » conformément à l’alinéa 4 de l’article 92.

Au cas où cette recommandation ne serait pas retenue, l’objectif visé pourrait toujours être atteint, sans parler d’abrogation, si les députés, représentant le « Peuple souverain » et ayant logiquement le « pouvoir de clarifier une loi controversée » votent une nouvelle loi qui indiquerait explicitement les infractions qui sont exclues du champ d’application de la loi d’amnistie du 13 mars 2024.

Après cette indispensable clarification par le Conseil constitutionnel ou par l’Assemblée nationale, il importerait de répondre à la question : Et après ? En effet quand les vérités sur la commission des crimes graves seront connues ; quand les ressources informationnelles indispensables au développement de lois et règlements capables de prévenir la répétition de tous les mauvais agissements du pouvoir et de l’opposition, pour des intérêts et des calculs politiques antipatriotiques seront acquises, et quand des actes de repentance seront humblement et sincèrement posés par les coupables, il faudra alors voir qu’elles seront les mesures à prendre pour que le « pardon éthique » (qui ne sera que partielle du fait de l’absence des morts qui sont les principales victimes) et la réconciliation soient une réalité. C’est alors que l’organisation d’un « véritable dialogue national » sera indispensable, sous la haute supervision de l’actuel Chef de l’État.

NOTES

:   Décret no2024-683 du 1er mars 2024 ordonnant la présentation à l’Assemblée nationale du projet de loi portant amnistie. Exposé des motifs.

2:https://www.dakaractu.com/Cas-Karim-Wade-et-Khalifa-Sall-Le-President-Macky-Sall-met-les-points-sur-les-%C2%A0i%C2%A0-%C2%A0Khalifa-Sall-n-a-jamais-nie-les_a160284.html

:   Le fait que l’ex-Chef de l’État voulait un troisième mandat est prouvé par de nombreux fait dont les plus déterminants sont : les sanctions de ceux de son camp qui avaient osé affirmer qu’il n’avait pas droit à un troisième mandat, la saisine du Conseil constitutionnel à ce sujet révélée dernièrement par son Président, le fait que le Sénégal ait été paradoxalement avec la Côte d’Ivoire et le Togo les trois pays qui s’était opposé à l’institution de la limitation des mandats des Présidents de la républiques à deux (2) dans l’espace CEDEAO. Il y a aussi le fait que la constitution de 2016 ait été piégée afin d’ouvrir cette possibilité d’une troisième candidature en vue d’un troisième mandat, fait que nous avons mis en exergue dans un article que nous avions intitulé « Un peuple trompé depuis 2016 » publié le 14 février 2024.

4: « L’amnistie et la Justice : Les limites des lois d’amnistie face aux crimes graves » par le Docteur Tabouré AGNE, Consultant, Enseignant associé des Universités de Kaolack et Bambey. Publié par Lequotidien du 4 décembre 2024

https://lequotidien.sn/lamnistie-et-la-justice-les-limites-des-lois-damnistie-face-aux-crimes-graves

:   « Le Conseil constitutionnel sénégalais dans un contexte d’intégration régionale : Passé, présent, devenir. Actes du Colloque de Dakar, 7 et 8 décembre 2020. Sous la direction de Ndiaw DIOUF »

https://www.kas.de/documents/10304919/10305305/Actes.pdf

« Sous-thème VI : Le présent (suite). Les techniques d’interprétation du juge constitutionnel sénégalais par Abdoul Aziz Daba Kébé Maître de Conférences agrégé… » (Page 138)

6 :   https://www.seneweb.com/news/Justice/abrogation-de-la-loi-d-amnistie-ismaila-_n_457229.html

Le 16 décembre 2024
Colonel de Gendarmerie(r)Tabasky Diouf
Grand Officier de l’Ordre national du Lion et Commandeur de l’Ordre du mérite
Membre fondateur de l’Initiative Citoyenne « Jog Ngir Senegaal »

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *