Pour une « décision interprétative » De la loi portant amnistie du 13.03.2024

11 avril 2025 | 0 commentaires

Le vendredi 02 avril 2025, la proposition de loi n°05/2025 portant interprétation de la loi n°2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie des infractions criminelles et correctionnelles commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024 a été votée par l’Assemblée nationale.

Cependant le groupe parlementaire Takku-Wallu et d’autres députés de l’opposition seraient prêts à saisir le Conseil constitutionnel probablement pour le rejet de cette loi qui serait une nouvelle loi et non une loi interprétative. Cette allégation étant soutenue par des « sachants », il est bien possible que le Conseil constitutionnel leur donne raison.

Compte tenu du fait que les « sachants » affirment quasi-unanimement que le maintien ou l’abrogation de la loi du 13 mars 2024 consacrerait l’impunité et serait un obstacle à cette vérité qui devrait être rédemptrice pour le Peuple sénégalais, il importerait que le Conseil constitutionnel use de son pouvoir pour trouver la meilleure façon de remettre en cause cette loi portant amnistie du 13 mars 2024, d’autant plus qu’en dehors des exigences de l’adhésion du « Peuple du Sénégal souverain » à certains instruments internationaux (Préambule de la Constitution), le Président de la République avait très justement annoncé le 31 décembre 2024 que « nous ne pouvons rechercher la vérité sur des faits survenus il y a 80 ans et accepter l’omerta sur les évènements tragiques vécus ces quatre dernières années ».

C’est dans ce sens que nous voudrions faire une recommandation (II.) aux sages du Conseil constitutionnel après avoir présenté les éléments justificatifs de ladite suggestion (I.).

I. LES ÉLÉMENTS JUSTIFICATIFS DE LA RECOMMANDATION QUI SERA FORMULÉE.

Aucune personne véridique, non partisane ne peut contester que sous le régime du Président de la République Macky Sall, il y a eu de nombreuses atteintes aux règles et principes des droits de l’homme et de la démocratie, avec des manœuvres et des combines qui avaient permis d’écarter messieurs Khalifa Sall et Karim Wade de l’élection présidentielle de 2019, et par lesquelles, il avait voulu écarter de celle de 2024 monsieur Ousmane Sonko et tout candidat de son camp. Ces injustices ont été, sans aucun doute, le principal inducteur de la résistance totalement justifiée, sous la conduite de celui qu’on cherchait à éliminer politiquement, et ce sont ces injustices et la résistance légitime qui ont généré tous les drames constatés entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024.

Une analyse objective de nombreux avis publiés dans les médias traditionnels et les réseaux sociaux nous a permis de constater qu’il y a un consensus parmi les « honnêtes gens » sur :

  • le besoin de vérité qui doit précéder l’indispensable « réparation, pardon et réconciliation » ;
  • le rejet de l’impunité pour les graves crimes qui ont été commis quel que soit leurs auteurs ;
  • l’obligation de l’État, personne morale, indépendante des partis politiques, de se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et du Statut de Rome de la Cour pénale internationale que le Sénégal a librement ratifié respectivement le 21 août 1986 et le 2 février 1999, et
  • le fait que l’État qui a la lourde charge de prévenir et de réprimer tous les actes pouvant troubler gravement la paix, l’ordre public et la cohésion sociale, a le devoir de faire conduire des enquêtes pour notamment rassembler les informations qui lui permettront de légiférer et de réglementer, en toute connaissance de cause, afin que ce qui s’est passé entre 2021 et 2024 dans le champ politique et dans la conduite des opérations de maintien et de rétablissement de l’ordre public ne puissent plus se produire.

Parmi les « crimes contre l’humanité » prévus par l’article 7 du Statut de Rome qui ne peuvent être amnistiés (article 29 dudit Statut), il y en a qui ont été éventuellement commis au Sénégal entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024. Il s’agit  notamment : du « meurtre » (a) ; de l’« Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international » (e) ; de la « torture » (f); de la « persécution de tout groupe (…) pour des motifs d’ordre politique, (…) ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour (h) ; des « disparitions forcées de personnes » (i); des « autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale » (k).

Cet article 7 nous indique que « « Par « torture », on entend le fait d’infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances aigues, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde ou sous son contrôle ; I ‘acception de ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions 1égales, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles » (Voir aussi l’article 295-1du Code pénal).L’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants donne une définition plus précise de la « torture » alors qu’en son article 16, elle indique que « Tout État partie s’engage à interdire dans tout territoire sous sa juridiction d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas des actes de torture telle qu’elle est définie à l’article premier lorsque de tels actes sont commis par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel, ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. (…).»

Ces précisions étant faite, nous voudrions faire une recommandation au Conseil constitutionnel au cas où il serait saisi par l’opposition qui contesterait la légalité de la loi portant interprétation de la loi du 13 mars 2024.

II. RECOMMANDATION AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Compte tenu des conséquences négatives qu’induirait  le maintien ou l’abrogation de la loi n°2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie des infractions criminelles et correctionnelles commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, nous recommandons aux sept (7) sages du Conseil  constitutionnel saisi contre la loi portant interprétation de bien vouloir prendre une « Décision interprétative » qui serait naturellement rétroactive et qui se bornerait à indiquer que : « Les faits susceptibles de revêtir la qualification d’infraction criminelle prévue par l’article 7 du statut de Rome et par la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont hors du champ d’application des faits amnistiés. » Cette disposition constituerait en fait un « second alinéa explicatif » de l’article premier de la loi du 13 mars 2024.

La modification de l’article 3 de la loi du 13 mars 2024 par le rajout de l’expression « ni aux droits des victimes à une réparation » n’est pas indispensable, car la réparation pour les victimes et les héritiers des personnes qui ont perdu leur vie, suite à des faits non amnistiés ne pose pas de problème.

La loi du 13 mars 2024 exclut de l’amnistie tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d’infraction criminelle ou correctionnelle, ne se rapportant pas à des manifestations et qui n’ont pas « des motivations politiques ». Il est clair que l’incendie du bus ayant causé des homicides a été commis en dehors de toute « manifestation » et « des motivations politiques ne devraient pas être retenues. Par ailleurs, l’Université n’a pas été une zone où se déroulait une « manifestation » avec des manifestants faisant face à des forces de maintien ou rétablissement de l’ordre public et « des motivations politiques » ne devraient pas être retenues pour les incendies qui ont causé des dégâts très importants. Dès lors, il apparait que ces deux faits et tous les autres, imputables à des manifestants ayant utilisé des armes à feu qui ne font pas partie, sans aucun doute, des détériorations, incendies et vols qui sont constatés généralement en marge des manifestations dans les pays démocratiques, devraient pouvoir faire l’objet de poursuites judiciaires en application de la loi du 13 mars 2024.

Cette « Décision interprétative » des sept (7) sages aurait évidemment la valeur d’une « loi interprétative » qui serait « non susceptibles d’aucune voie de recours et s’imposerait aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » conformément à l’alinéa 4 de l’article 92 de la Constitution permettrait au Sénégal de se conformer à ses obligations internationales.

S’agissant des victimes d’arrestation arbitraire leur ayant causé « un préjudice manifestement anormal et d’une particulière gravité », le Pouvoir judiciaire devrait pouvoir recueillir les réclamations de tous ceux qui allèguent être dans ces cas, pour les étudier en toute indépendance, en fonction de critères préalablement définis. La justice établirait après ce travail, contre lequel aucune voie de recours ne serait admise, la liste des anciens détenus qui ont été victimes d’un fait pouvant être considéré comme un « Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international » (e) ou pouvant être comptés parmi les « autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale » (k). Ce travail pourrait être confié exceptionnellement à la « Commission juridictionnelle chargée de statuer sur les demandes d’indemnité (…) prévue par les articles 3 et 107 à 110 de la loi organique n° 2017-09 du 17.01.2017 sur la Cour suprême compte tenu de la pluralité des ressorts de Cours d’Appel concernés.

En ce qui concerne les Forces de défense et de sécurité (FDS) que certains citoyens cherchent à mettre en mal avec le régime actuel, nous condamnons ces agissements subversifs et réaffirmons que l’écrasante majorité des homicides qui ont été commis ne sont pas imputables aux agents des Forces de l’ordre qui  méritent respect et reconnaissance du peuple et de ses dirigeants actuels, car n’eût été leur professionnalisme, on aurait eu beaucoup plus de morts parmi les manifestants et elles n’auraient pas pu assurer la protection des Institutions contre des contestataires incontrôlés par ceux qui les mobilisaient.

Enfin, il importe de mentionner que les autorités de commandement et de direction des FDS n’ont jamais réclamé une impunité pour leurs agents. Placées à la tête de forces constituées et formées pour être aptes à remplir leurs missions au service de l’État et des citoyens, dans le respect des droits de l’homme, ces autorités n’ont pas le droit de désapprouver les poursuites qui seront conduites en application des dispositions du Code de Justice militaire et les condamnations éventuelles de tous les agents qui ont commis des crimes sans aucun des « motifs légitimes » clairement spécifiés par les lois, les règlements et les instruments internationaux1.

NOTE :
1: les lois, les règlements et les instruments internationaux : la Constitution (article 7) ; le code pénal notamment en ses articles 92 à 100 (Attroupements, réunions et rassemblements) et article 106 (attentats à la liberté) ; la loi no70-37 du 13 octobre 1970 relative à l’usage des armes et à l’emploi de matériel spécial de barrage par les militaires de la Gendarmerie et les membres des forces de police ; l’Instruction présidentielle No 20 du 10 novembre 1970 relative à la participation des Forces armées au maintien de l’ordre ; le Statut de Rome de la Cour pénale internationale ; la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; du « Code de conduite pour les responsables de l’application des lois adopté par l’AG des NU le 17 décembre 1979 (résolution 34/169) » ; les « Principes directeurs en vue d’une application efficace du Code de conduite pour les responsables de l’application des lois » ; les « Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, adoptés par le huitième Congrès des NU pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990 » ; les « Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions, recommandés par le Conseil Economique et Social (CES) dans sa résolution 1989/65 du 24 mai 1989 » ; l’« Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, adopté par l’AG des NU dans sa résolution 43/173 du 9 décembre 1988 » ; l’« Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, adopté par le premier Congrès des NU pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, tenu à Genève en 1955 et approuvé par le CES dans ses résolutions 663 C (XXIV) du 31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai 1977 » ; la « Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée par l’AG des NU dans sa résolution 47/133 du 18 décembre 1992 », et l’« Instruction ministérielle d’application no 015/MFA/S.G.4 du 27 mars 1971 prise pour l’application de la loi no 70-37 du 13 octobre 1970.

11 avril 2025
Colonel (er) Tabasky DIOUF
Grand Officier de l’Ordre national du Lion et Commandeur de l’Ordre du mérite
Membre fondateur de l’Initiative citoyenne Jog ngir Senegaal.

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