Les péchés contre les personnes morales

31 décembre 2023 | 1 commentaire

Une matérialisation d’un esprit incivique qui a tendance à être banalisé consiste à penser qu’ont peu faire ce qu’on veut avec ce qui appartient à l’Etat (« Alal lu buur ») sans qu’un autre ait le droit de vous réprimander. On peut, par exemple, salir impunément la rue qui appartient à tout le monde, donc à l’Etat sans avoir de compte à rendre aux voisins.  Au service de l’Etat et dans le domaine des ressources de l’Etat, cet esprit rétrograde se transforme en droit de « profiter de toutes les situations » et de s’adonner au « giiros » des ressources appartenant à l’Etat, pour ensuite bénéficier de l’impunité parce que des supérieurs hiérarchiques cautionnent ces pratiques d’enrichissement illicites dont la gravité nous semble être grandement sous-estimée.

En analysant les prêches et les discours des érudits musulmans dans les médias, nous nous sommes rendu compte que le domaine des péchés induits par les préjudices causés aux personnes morales (Etat, Organes employeurs et Communauté d’appartenance) n’est pas suffisamment traité et que des clarifications s’imposent pour le bien des musulmans mais aussi pour renforcer le respect de la sacralité de ces personnes morales ainsi que de leurs biens.

Cet article est conséquemment articulé autour de trois points : Un rappel des clauses du repentir en Islam (I.) ; L’expression d’une conviction quant à l’extrême gravité des péchés liés aux dommages causés à des personnes morales (II.) ; Un appel aux érudits musulmans aux fins des nécessaires clarifications et recommandations en direction des croyants qui ont déjà causé de lourds préjudices à des personnes morales (III.).

I.       LES CLAUSES DU REPENTIR

De manière détaillée et explicite, les vers 15 à 29 de la partie « le Joyau précieux » (pages 103 et 105) du recueil de poèmes en sciences religieuses du vénéré Cheikh Ahmadou BAMBA Khadimou Rassoul (le serviteur du Prophète) fondateur du Mouridisme, dégagent parfaitement les clauses du repentir en totale conformité avec les dispositions du Coran et des hadiths du Prophète de l’Islam (PSL). Regretter ses fautes précédentes ; Ne jamais retarder le repentir, ni le remettre ; Prendre la résolution, pour le reste de sa vie, de ne jamais récidiver ; Réparer l’ensemble des injustices commises auprès des victimes (réparer les dommages matériels et/ou se décharger du dommage moral) sont les principales clauses qui ressortent de ces vers.

Cet enseignement du fondateur de la confrérie Mouride, en parfaite conformité avec les dispositions du Coran vont dans le même sens que le hadith ci-dessous rapporté par Boukhari selon qui, le Prophète (PSL) a dit :

Quiconque aurait commis une injustice envers son frère, touchant sa dignité ou toute autre chose, qu’il s’en acquitte dès maintenant avant que ne survienne un jour où le Dinar et le Dirham ne sont plus monnaie payante.

Si l’offenseur a de bonnes œuvres, il en sera prélevé une valeur équivalente à l’offense qui sera attribuée à l’offensé.

Si l’offenseur est démuni des bonnes œuvres, une fraction des péchés de l’offensé, égale à la valeur de l’injustice dont il était victime, sera portée à l’actif de l’offenseur.

Selon donc le vénéré Cheikh et les savants, rapporteurs des hadiths consultés, «la réparation de l’ensemble des injustices commises auprès des victimes compte parmi les clauses du repentir ». Il se pose dès lors la question du repentir des musulmans qui commettent des péchés contre des personnes morales, notamment par des malversations ou indélicatesses et autres actes de traitrise qui leur causent des dommages matériels et immatériels. Comment se repentir des actes de détournement, de corruption sous diverses formes (pots de vin pour l’octroi indu de marchés, passation injustifiée de marchés par entente directe pour enrichir «ses hommes d’affaires», exigences de commissions, de pourcentage sur des marchés surfacturés, sollicitation et / ou acceptation de biens mobiliers en contrepartie de l’octroi de commandes publiques, …) et d’enrichissement illicite dans le cadre de la dilapidation du patrimoine foncier ou d’accaparements et de magouilles liées à l’exploitation des ressources maritimes, pétrolières, gazières et minières appartenant au peuple sénégalais ?

II.      GRAVITÉ DU PÉCHÉ LIÉ AUX DOMMAGES CAUSÉS À UNE PERSONNE MORALE

Un esprit critique, tourné sans entrave vers le bien, permet à l’Homme de rejeter la facilité et d’optimiser les exigences du Créateur en tout ce qui concerne sa manière d’être et de faire car, il veut que tous les actes qu’ils posent et tous les propos qu’il tient soient des bonnes œuvres d’adoration. Pour cela, il s’impose le devoir, d’avoir la meilleure conception possible du bien et du mal qui lui commande notamment de s’écarter systématiquement de tout ce qui est équivoque.

C’est avec cet état d’esprit que nous avons retenu que les péchés qui naissent des dommages causés à des personnes morales (Etat, Communautés d’appartenance et Organes employeurs) sont beaucoup plus graves que ceux qui sont induits par un préjudice qu’on a fait subir à un individu, simplement du fait de la multiplicité des victimes directes et / ou collatérales. En outre, notre intime conviction est que Dieu qui ne pardonne pas directement les péchés commis contre les tiers, n’effacera pas aussi les péchés commis contre l’Etat (personne morale) en l’absence de tout repentir sincère comprenant évidemment la clause de réparation comme pour les personnes physiques.

Enfin, nous sommes convaincu que le « Jour du Jugement Dernier » (de la « Reddition des comptes » ou de la « Rétribution »), la personne morale et les victimes des malversations, indélicatesses ou trahisons vont se présenter comme accusateurs et demander réparation, au gouvernant, haut commis de l’Etat ou autre citoyen, des dommages matériels et immatériels qu’il leur a fait subir, quand il :

–        Mentait, ne respectait pas ses engagements et faisait preuve d’injustice et d’iniquité ;

–        Faisait prévaloir au détriment de l’intérêt général, ses intérêts personnels ou ceux de ses parents ou alliés politiques ;

–        Se rendait coupable de favoritisme et écartait les plus méritants au profit de ses « alliés » ou de ceux qui ont le bras long ;

–        Corrompait les juges, les agents de l’Etat pour ses intérêts ou ceux des siens ;

–        Abusait de sa position pour s’enrichir ou enrichir illicitement les siens au détriment de tous les autres ;

–        faisait preuve de laxisme, de permissivité, laissant ses alliés profiter de toutes les situations pour détourner des fonds au détriment du peuple sénégalais ;

–        détournait une partie des ressources du « Peuple souverain » dont la gestion lui a été confiée par des combines et des magouilles ;

–        posait sciemment des actes qui affaiblissaient la capacité de l’Etat à satisfaire des besoins primaires des populations les plus démunies ;

–        s’accaparait de ressources qui devaient être investies pour le soutien des prix des produits de première nécessité, une meilleure lutte contre la pauvreté, une meilleure prise en charge médicale ou l’amélioration de systèmes d’éducation, de sécurité et d’approvisionnement en eau et en électricité ;

–        politisait les organes étatiques stratégiques ou des entreprises publiques pour les transformer en vache à lait ;

–        a provoqué la faillite d’une entreprise du fait de sa gestion gabegique faisant perdre leur emploi à de nombreux pères de famille qui par la suite ont vu leur famille se disloquer et leurs enfants verser dans la délinquance ou la prostitution ;

–        a sciemment investi des ressources dans des projets non prioritaires pour des intérêts personnels (importance des commissions) ou des calculs politiciens, au détriment des actions développantes et de la satisfaction de besoins primaires pressants des personnes vulnérables dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’alimentation ;

–        s’enrichissait illicitement par sa participation à la dilapidation du patrimoine foncier et immobilier ;

–        se faisait octroyer des « fonds politiques » (caisses noires) d’un montant que la pauvreté du peuple sénégalais rend manifestement indécent ;

–        protégeait des criminels en col blanc avec la complicité du Procureur de la République ;

–        neutralisait injustement des adversaires politiques avec la complicité des Forces de police, du Procureur de la République et de certains juges ;

–        faisait octroyer des indemnités et autres avantages financiers ou statutaire (augmentation d’une limite d’âge) à une catégorie de fonctionnaires de manière arbitraire pour les corrompre ou les fidéliser à sa cause et non à la cause de l’Etat délégataire du « Peuple souverain » ;

–        a empoché de l’argent d’un chauffeur ou d’un homme d’affaires au lieu de faire payer une amende forfaitaire, une taxe, un impôt ou une redevance fiscale au profit de l’Etat, etc.

Le simple fait d’imaginer dans quelle situation sera, le « Jour de la Rétribution », le criminel en col blanc qui a participé au pillage des ressources de l’Etat ou à la fragilisation de l’économie du pays (fausse monnaie, blanchiment d’argent sale, …) ; le malfaiteur qui, pour ses égoïstes intérêts, a porté atteinte à la santé de fils du pays (vente de drogue, de faux médicaments et autres produits impropres à la consommation, …) ; le corrompu, qui s’est enrichi illicitement au détriment de l’Etat ou le politicien, qui a trompé son peuple, lui causant sciemment des dommages dès qu’il a été élu, nous remplit d’effroi, surtout s’il a pu échapper injustement à la Justice des Hommes. Nous nous demandons comment celui-là qui, dans sa vie éphémère sur terre, a été « égaré » par ses passions d’argent, de plaisirs ou de pouvoir va faire avec toutes ces victimes directes et / ou collatérales qui vont lui demander réparation.

En effet, il aura très certainement des difficultés à satisfaire à l’« obligation de réparer » les dommages causés « Ici-bas » car il est peu probable que ses « bonnes œuvres » puissent compenser l’« offense matérielle et morale » faites à l’Etat (personne morale) et à toutes les victimes. Dès lors qu’une fraction des péchés de chacune des victimes sera portée à son actif, il apparait évident que l’homme en jugement aura très peu de chance d’échapper à l’Enfer qui est la destination de tous ceux que le « diable banni, ennemi déclaré de l’Homme » a pu recruter dans « sa cavalerie et son infanterie » et qui ne se sont pas repentis sincèrement avant leur mort.

Ne souhaitant pas que des citoyens soient contraints d’accompagner Satan en Enfer, nous estimons qu’il urge que des actions de conscientisation des serviteurs de personnes morales soient entreprises par les érudits et les guides religieux musulmans, qui feraient aussi des recommandations pour la satisfaction de la « clause de réparation ».

III.    APPEL AUX ÉRUDITS ET GUIDES RELIGIEUX MUSULMANS

Ce qui est affirmé dans la partie précédente au sujet de la gravité du péché contre les personnes morales du fait de la pluralité des victimes émane d’un néophyte qui n’a fait que partager ce que lui dictent son esprit et son cœur, sur la base de nombreux principes coraniques. Par amour pour nos compatriotes musulmans, nous souhaitons qu’ils ne fassent pas partie de ceux qui auront des regrets le « Jour de la Reddition des Comptes » et c’est pourquoi, nous recommandons vivement que les érudits prennent en compte cette problématique. Il est hautement souhaitable qu’ils puissent éclairer principalement les croyants au service de l’Etat, en se prononçant clairement sur cette « Notion de Péché lié à un dommage causé à une personne morale, le repentir et les conséquences le Jour du Jugement Dernier ».

Au cas où notre analyse de la situation serait confirmée, les érudits devraient mettre en exergue sans équivoque la gravité de ce péché et la complexité du repentir liée principalement à la clause de réparation. Ils devraient pouvoir conduire des opérations de conscientisation et faire des recommandations aux coupables qui ont depuis l’indépendance participé, par divers moyens, à la perpétuation de la mal gouvernance en s’enrichissant illicitement ou abusivement1 et qui voudraient poser des actes pouvant les aider à sauver leurs âmes.

En ce qui concerne la conscientisation, l’expression de la gravité du péché contre l’Etat devrait être suffisamment dissuasive pour tous les musulmans raisonnables et pourrait contribuer grandement à l’éradication de la mal gouvernance. « D’après Abdallah Ibn ‘Amr (Da), il y avait un homme qui gardait la famille et les affaires du Prophète (PSDL) appelé Kirkira; lorsqu’il mourut, le Messager de Dieu (PSDL) dit: « Il est en Enfer »; les gens allèrent voir le mort et trouvèrent à sa place une ‘abâya qu’il avait volé du butin de guerre. (Hadith 1313 / S.B. 3074). Si une simple tunique soutiré malhonnêtement sur un butin de guerre a pu conduire quelqu’un en Enfer, qu’en sera-t-il pour tous ces musulmans devenus illicitement des milliardaires ou des plusieurs fois « cent-millionnaires »  ?

Nous pensons honnêtement, au vu de la gravité des châtiments prévus formellement dans le Coran contre les transgresseurs, que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Les égoïstes satisfactions éphémères qu’un musulman, surtout un leader, tire de sa méconduite, dans les luttes malsaines pour les places, les privilèges et le pouvoir, dans les enrichissements illicites et dans les jouissances liées au sexe, à la surconsommation, au luxe ou aux belles acquisitions mobilières et immobilières, ne valent pas le risque d’« encourir la colère de Dieu » et de faire partie de ceux qui accompagneront le « diable banni » en Enfer.

S’agissant des recommandations à faire, à tous ceux-là qui ont gravement péché contre l’Etat, afin qu’ils puissent sauver leur âme, il s’agirait de leur indiquer comment ils doivent se repentir sincèrement et les « actions de réparation qu’ils pourraient engager sans délai pour sauver leur âme, étant entendu que le nombre de victimes collatérales de tout détournement de ressources appartenant à l’Etat serait égale à la population totale du pays, simplement parce que le peuple à qui appartient ces ressources est la somme de tous les citoyens sénégalais.

Pourquoi ne vendraient-ils pas les biens qu’ils ont à l’étranger, pour les rapatrier en même temps que leurs avoirs dans les banques étrangères et / ou ne se libéreraient-ils pas des biens immobiliers et autres patrimoines personnels acquis illicitement ou « abusivement » dans le pays pour restituer les fonds à l’Etat pour des investissements dans des secteurs stratégiques inducteurs de développement et pourvoyeurs d’emplois qui profiteront à une multitude de citoyens ? De tels mesures pourraient bien constituer une piste de solution pour tous ceux-là qui du fait de leur égarement ont par leurs accaparements affaiblit l’Etat de telle sorte qu’il n’a jamais pu optimiser les ressources à engager dans la lutte contre la pauvreté, la satisfaction des besoins primaires des populations et les investissements développants.

En attendant l’intervention des érudits musulmans qui pourrait contribuer à dissuader les serviteurs de l’Etat  et contribuer ainsi à la lutte contre la mal gouvernance, nous invitons les compatriotes à se soumettre à cet exercice d’autoévaluation évoquée déjà dans un article intitulé « Pour un changement de mentalité des leaders étatiques ». Ceux qui honnêtement, se rendront compte qu’ils ont eu à porter sciemment préjudice à l’Etat, devront alors se repentir et s’engager dans un combat contre eux-mêmes pour acquérir la « sagesse totale » qui est le produit de la « science du bien et du mal » et de la « volonté de toujours bien se conduire ». Pour un musulman la « science du bien et du mal » s’acquière par une bonne connaissance des lois, des règlements, des valeurs et des idéaux de la République ainsi que des prescriptions coraniques d’ordre éthique et des « valeurs culturelles fondamentales » du peuple sénégalais « qui constituent le ciment de l’unité nationale ». L’acquisition de cette « sagesse totale » ou de la « foi véridique » permet d’être un membre incorruptible du « Parti d’Allah », déterminé à s’ancrer de manière irréversible dans le « droit chemin », respectant la sacralité de l’Etat (personne morale) et de ses ressources qui appartiennent aussi, d’une certaine manière, à chacun des sénégalais.

Note

1 :   Les « biens matériels acquis abusivement » sont ceux provenant d’un usage abusif des « fonds secrets » sur-dotés budgétairement et qui finalement au lieu de servir à des dépenses républicaines qui par l’urgence ou par leurs natures sont « soustraites aux règles habituelles de contrôle budgétaire » sont finalement considérés à tort par les antipatriotes, égoïstes et « sous-développés mentaux », comme de « l’argent de poche employé au bon vouloir de leurs attributaires officiels ».

Colonel (retraité) Tabasky Diouf

tabou@jogngirsenegal.sn

1 Commentaire

  1. Mamadou DIOP

    C’est cette dimension sociale, la prise en compte des faiblesses et des tares des hommes, qui manque le plus à nos hommes politiques. Alors bravo Tabasky. Que Dieu te guide et te garde dans ta démarche.

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