Quand les mots perdent leur sens, les royaumes deviennent ingouvernables 

19 juillet 2024 | 4 commentaires

Et, ainsi dit, l’incivilité s’impose comme un moyen assuré de « restauration » de la démocratie moribonde.

Nous dirons que le respect de la règle n’est pas toujours la solution. C’est tout le sens de l’inversion sociale, pratique humaine, culturellement sensée, « arme » insolite de défense pour maîtriser l’aléatoire et l’épisodique guettant,qui peut, dans certaines circonstances de la vie, être empruntée pour mettre un terme à la tension sociale à l’œuvre ou bien pour réguler les éventuelles crises dormantes, en latence. 

En analysant le comportement des êtres humains, on se rend facilement compte que les sociétés, quelles qu’elles soient et en fonction des références culturelles fondatrices de leur être, ont besoin de transgresser les normes officielles pour survivre. C’est, très certainement, une des raisons pour lesquelles, pour ne pas froisser la conscience commune, les sociétés qui recouraient au sacrifice humain, geste ultime de don suprême de l’être humain aux divinités afin de leur plaire, finissent, subtilement, par taire la norme, quelquefois difficilement applicable, en livrant aux dieux trop exigeants le sang de l’animal domestique en échange symbolique contre la vie précieuse de l’être cher (Voir René GIRARD, Le sacré et le profane ; Le bouc-émissaire).

Ne pouvons-nous pas penser que c’est, sans doute, fort de la Philosophie de don de soi que le Président du PASTEF, Ousmane SONKO, « Messie » d’une jeunesse en quête de mieux-être, devenu Premier Ministre, a compris la voie à suivre. Sous ce rapport, s’exprime-t-il par une opposition vigoureuse qui a conduit, dans des conditions difficiles, à la victoire de la Démocratie sénégalaise ; cette dernière ayant été, momentanément, mise à genou par une organisation politique à la démarche devenue monarchique et autoritaire, pourtant élu par le Peuple trahi. Victime d’une « héméralopie » saisissante et d’une cécité d’esprit, ce régime, peu élégant, a fini par perdre la face pour avoir cru à un 3ème mandat de trop rêvé. En conséquence, la maturité des Sénégalais a convaincu et vaincu, encore une fois de plus, en élisant, dès le premier tour, le 24 mars 2024, M. Bassirou Diomaye Diakhar FAYE, actuel président de la République, une dizaine de jours après sa sortie de prison.

Considéré, aujourd’hui, comme l’un des plus grands opposants de la scène politique sénégalaise, voire africaine, cité partout comme le symbole imparable d’une opposition héroïque et exemplaire, le tandem FAYE-SONKO peut rassurer. Le slogan wolof « Sonko moy Diomaye, Diomaye moy Sonko » est révélateur. D’ailleurs,en s’engageant politiquement, et de manière intrépide, M. Ousmane SONKO n’a pas voulu se suicider. Il a préféré emprunter le chemin noble de l’extrême sacrifice. De la sorte, il refusa la pire des morts, celle qui est d’ordre social ayant emmené SOCRATE à prendre la dose fatale de la grande ciguë, Conium maculatum, lui valant la mort biologique, gage d’une éternité aux Champs Élysées, paradis des hommes de valeur bien heureux. Ce don de soi, loin d’être le « don du rien », a entériné la popularité du PASTEF et, de ce point de vue, la légitimité sociale, ainsi acquise, de son Président. L’obligation de rendre, d’une certaine manière, toute forme de don en guise de réponse à la chose reçue, se justifie par les résultats obtenus par les coalitions « Sonko président », à la Présidentielle de 2019 (rang 3ème, 15% des voix), Yewwi Askan Wi, créée en 2022, pour préparer les élections municipales, départementales et législatives de 2022 (rang 2ème ; élus : 56 voix/165) et celle présidentielle de 2024 et, enfin, « Diomaye président », en 2024 (54, 28%). C’est cela le sens d’un « contre-don » social mérité en récompense des efforts, par amour de la patrie, consentis pour sortir le pays de l’ornière.

Ce faisant, en convertissant, par le jeu extrême de la transformation, le « négatif » socialement insensé en fait social positivement accueilli parce que, tout simplement, intégré dans un univers de sens, le peuple sénégalais s’est offert les moyens de (re)trouver la joie de vivre, en disant non à la dictature et à la mort de la Démocratie.

En définitive, l’analyse du contexte politique sénégalais nous a aidé à comprendre que l’usage et le respect de la règle ne sont pas toujours la bonne solution ; ce qui revient à dire que la mise en application de celle-ci n’autorise pas forcément la résolution des contradictions vécues socialement. Il arrive des moments exceptionnels où le Peuple doit prendre son destin en main pour se libérer de la domination de ceux-là qui occupent le haut de l’échelle sociale et qui, par un « je-ne-sais-quoi », semblent être dominés par leur domination, en s’accrochant au Pouvoir. Il faut comprendre que, quelquefois, en vue de l’instauration d’une paix sociale durable, les hommes, vivant en société, n’ont pas toujours besoin de l’ordre pour exister mais, ils doivent passer, parfois, et nécessairement, par le désordre à la puissance créatrice pour donner davantage de sens à leur quotidienneté qui allait succomber sous le poids de l’illégitime règle ordonnée par quelques individus élus dont la « mauvaiseté » des intentions nuit à la réputation du Sénégal.   

En réalité, à travers ces notes cursives, nous voulons montrer comment les sociétés arrivent à inventer la manière de canaliser la violence physique, symbolique et/ou physico-symbolique subie, pour contenir le sentiment d’humiliation et la sensation de déshonneur ou d’avilissement. À cet effet, devons-nous, en définitive, analyser les usages symbolico-socio-culturels par l’intermédiaire desquels les individus, sous le contrôle des règles normatives de la normalité sociale référentielle, parviennent à convertir la maladresse sociale, qui fait mal, en un « excès permis » – l’expression est de R. CAILLOIS. Mais, cela n’annule aucunement le « Surveiller et punir » qui organise toute société et dont parle M. FOUCAULT.

Enfin, nous disons que si les pratiques d’inversion constituent le socle sur lequel les sociétés s’appuient momentanément pour reprendre le souffle de leur vie « suspendu » par la monotonie, la routine et l’exagération politique, c’est parce que, codées et codifiées, elles sont douées d’une efficacité symbolique sacrale qui garantit l’adhésion des membres de la communauté cherchant, par le recours à des attitudes culturellement signifiantes, à gommer les « non-sens » sociaux et à conjurer les « démons » de la quotidienneté.

Pour conclure, méditons ensemble ce propos d’Émile DURKHEIM : « Les passions humaines ne s’arrêtent que devant une puissance morale qu’elles respectent » !

Lamine NDIAYE

Professeur titulaire de Classe exceptionnelle

Sociologie et Anthropologie

4 Commentaires

  1. Nancy NDOUR

    Mon cher professeur, toujours égal à lui

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  2. Moustapha Gueye

    Maschallah, la réflexion d’un grand intellectuel africain, un universitaire sans doute le meilleur sociologue actuel de notre cher Sénégal.
    Que Dieu vous accorde bonne santé et longue.
    Moustapha Gueye
    Enseignant-chercheur
    Département Économie et Gestion Université Assane Seck de Ziguinchor Sénégal

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  3. Gueye moustapha

    Bonne santé, longue vie et pleine de prospérité pour ton et pour ta famille.

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  4. Gueye moustapha

    Bonne santé, longue vie et pleine de prospérité pour toi Prof et pour ta famille .

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