Dans le contexte actuel où certains responsables du parti des « Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité » (PASTEF) donnent l’impression de vouloir politiser toutes les nominations du Président de la République du Sénégal aux postes de responsabilité, en soutenant clairement l’exclusion de tous ceux, qui pour eux, n’ont pas défendu le « PROJET », il nous semble utile de partager une partie du contenu de notre « Livre 2 sur la crise morale au Sénégal : lettre ouverte aux hauts commis de l’Etat » intitulée «II.6. La politisation de l’administration et des actes de gestion des affaires publiques » (pages 460 à 465). et qui est un des douze (12) aspects de la gouvernance depuis 2012 que nous avions analysés. Nous rappelons que ce livre a été publié par l’Harmattan en septembre 2023.
La fin de « la politisation de l’administration et des actes de gestion des affaires publiques » est une des nombreuses ruptures pour lesquelles bien d’autres patriotes se sont battus en dehors du parti des PASTEF et de la Coalition Diomaye – Président. Ces derniers ont aussi contribué à l’élection du Président de la République Bassirou D. D. Faye et certains parmi eux ne sont pas moins compétents et vertueux que les adhérents du parti au pouvoir. Par ailleurs, il est probable qu’il y a des membres du parti Alliance pour la République (APR) qui sont des honnêtes citoyens n’ayant jamais porté préjudice à l’Etat, personne morale, et au parti des PASTEF. Tous ces gens ne devraient pas être exclus du droit de servir l’Etat à des postes de responsabilité s’ils ont une compétence et une expérience particulière dont le pays a besoin.
Souhaitant ardemment une fin irréversible de la mal gouvernance, nous donnerons, si Dieu le veut, notre avis et nos recommandations sur la politisation dans un prochain article, comme une suite de l’extrait ci-après.
EXTRAIT
1. Généralités
« Lorsqu’elle (l’administration) joue pleinement son rôle dans le respect des valeurs fondamentales qu’exige la délivrance d’un service public, l’ensemble des acteurs engagés dans la dynamique économique et, particulièrement les citoyens, en tirent le maximum de profit. En revanche, quand dans son intervention l’Administration est détournée de sa mission de base et est parasitée par une logique incompatible avec l’intérêt général, l’impartialité et l’objectivité, la porte est ouverte aux dérives de toutes natures. L’efficacité de l’action publique est alors compromise et le service public perd de sa qualité. Le diagnostic établi dans le cadre des travaux préparatifs à la mise en place d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption montre, que la politisation de l’Administration serait l’une des causes de la corruption au Sénégal. Le militantisme politique est devenu une pratique courante des cadres de l’Administration, ce qui peut, s’il n’est pas juridiquement encadré, instaurer un climat de suspicion et d’insécurité chez les citoyens censés bénéficier de ses services. Plusieurs rapports des structures de contrôle ont décrié cette politisation de l’Administration. En effet, dans certains cas, des agents de l’Administration politiquement engagés sont placés en situation deconflit d’intérêt ». Cet extrait du Rapport public d’activités 2014-2015 de l’OFNAC est suffisamment éloquent pour démontrer l’effectivité de la politisation de l’Administration.
Dans le même sens Monsieur Moustapha Diakhaté a, dernièrement sur son compte Facebook fustigé l’engagement politique des « fonctionnaires des administrations fiscales, domaniales, du trésor public, des administrateurs civils et diplomates de carrière48 » et recommandé qu’« à l’instar des magistrats, douaniers et inspecteurs généraux d’État » que l’engagement politique leur soit interdit. Cette recommandation est d’ailleurs bien en phase avec les dispositions du point 7.6. de l’Annexe de la loi n° 2012-22 du 27 décembre 2012 portant Code de Transparence dans la Gestion des Finances publiques indique clairement que « Les administrations financières, notamment fiscales et douanières, sont protégées par la loi de toute influence politique. (…).»
Ce qu’il y a lieu de retenir est que dans un pays où les insuffisances des Corps de contrôle et de la Justice politiquement neutralisés sont criardes ; dans un pays où assumer des responsabilités politiques requièrent de disposer de fonds que le salaire d’un haut fonctionnaire ne peut pas supporter, et dans un pays où la preuve a été maintes fois donnée que de nombreux agents n’hésitent pas à « profiter des situations » pour détourner, il importe que ceux qui ont entre leurs mains les biens du peuple sénégalais ne soient pas politiquement marqués ou engagés afin de pouvoir sauvegarder leur devoir de probité morale, d’intégrité, d’impartialité de justice et d’équité dans l’exercice de leur fonction.
La politisation est multiforme et touche la quasi-totalité des actes gouvernementaux. Mais elle est beaucoup plus pernicieuse quand il s’agit au Sénégal comme presque partout en Afrique de la politisation de l’Administration y compris celle militaire ou policière. Elle est à l’origine de la création d’organe d’exception comme la Commission Électorale Nationale Autonome (CENA) qui peine d’ailleurs à remplir correctement ses missions du fait du peu d’emprise qu’elle a sur l’administration centrale du ministère de l’Intérieur, sur l’Administration territoriale, sur la Justice et sur les forces de sécurité qui jouent les rôles les plus importants dans les processus électoraux.
Une conscientisation qui permettrait d’obtenir une Assemblée nationale républicaine ne votant que des lois impersonnelles, indépendantes des intérêts du parti au pouvoir et améliorant la démocratisation et le caractère inclusif du jeu politique ; une administration totalement républicaine dont la loyauté fondée exclusivement sur le respect des lois et règlements est au-dessus des intérêts politiciens du Président de la République et de ceux des partis de la mouvance présidentielle, conduirait à la suppression de la CENA qui va générer des économies substantielles qui pourraient être utilisées pour mieux répondre aux besoins socio-économiques et sécuritaires des populations.
C’est dans ce sens qu’il est question dans la « Lettre ouverte aux hauts responsables au service de l’État » du comportement et/ou des obligations devant leur permettre tout en étant loyaux, de ne pas être les complices de décisions contraires aux principes et règles de la démocratie, du respect des droits humains, de la bonne gouvernance, de l’État de droit et de la transparence dans la gestion des affaires publiques ou, autrement dit, d’être eux-mêmes les remparts républicains contre la politisation. Ci-dessous les principales expressions de cette politisation qui font partie aussi des expressions innombrables de la crise morale.
2. Des expressions de la politisation
Les multiples expressions de la politisation qui constituent un frein au respect des principes et règles susmentionnés principalement parce qu’elle génère des injustices et affaiblit les institutions de l’État dont principalement les Corps de contrôle sont rappelées ci-dessous :
a. Principalement sous les « troisième et quatrième régimes » les Agences et services assimilés se sont multipliés, certains ayant disparu pour réapparaître sous d’autres appellations pour pouvoir se débarrasser des partisans du régime précédent et caser les alliés du nouveau régime.
Pour pouvoir trouver des postes à des alliés et sans aucun souci de l’économie, des Agences ont été créées pour remplir des missions qui auraient pu être exécutées, ou continuer à être exécutées par des directions générales des ministères dont le nombre a paradoxalement augmenté malgré la prolifération des Agences. Parallèlement, des hommes politiques ont été nommés, non pour leur compétence mais simplement du fait de leur engagement politique à la tête de ces Agences ou pour diriger des sociétés publiques ou parapubliques ou des Directions Générales de l’Administration à la place de hauts fonctionnaires apolitiques ou n’appartenant pas aux partis de la mouvance présidentielle.
b. Des fonctionnaires occupant de hautes fonctions dans l’Administration et des Directeurs de société et d’Agence se sont transformés par opportunisme en grands activistes de la politique et, profitant de la quasi-neutralisation politique des corps de contrôle (IGE, OFNAC, Cours des Comptes) dépensent des millions voire des centaines de millions de francs d’origine hautement douteuse dans le cadre de leurs activités politiques.
c. Le deuxième alinéa de l’article 19 de la Loi n° 2011-14 du 8 juillet 2011 portant statut des Inspecteurs généraux d’État dispose qu’« il est interdit aux Inspecteurs généraux d’État en activité, d’appartenir à un syndicat ou à un parti politique et, de façon générale, d’exercer des activités incompatibles avec leur statut. Dès lors il n’est pas surprenant que la nomination au tour extérieur de Monsieur Cheikh Awa Balla Fall qui avait mis en place le mouvement « Mobilisation pour un deuxième mandat (M2M) ait soulevé des contestations.
d. Ces politiciens nommés à des Directions Générales au sein de la fonction publique sont dans leur grande majorité incapable de garantir la justice et l’équité dans le traitement des personnels (recrutement, responsabilisation, …). Par le favoritisme dont ils sont coupables, ils constituent des freins à l’avènement d’environnement où le culte de l’excellence et celui du mérite seraient des réalités. Et leur présence à la tête du Port autonome, de la Poste, de la Senelec, …justifie la mauvaise gestion récurrente de ces sociétés avec des militants recrutés sans retenue et grassement payés à ne rien faire et des vols sous toutes leurs formes (détournements, surfacturations et marchés par entente directe pour la perception de commissions, …) pour le financement de leurs activités politiques.
e. Il y a aussi une politisation des soutiens apportés aux municipalités. Cette politisation est utilisée comme un moyen d’affaiblissement d’opposants en retenant sciemment ou en minimisant les ressources et les investissements qui devaient leur permettre de mieux répondre aux besoins de leurs administrés. Elle constitue aussi une arme pour le débauchage de cadres des partis de l’opposition et un moyen d’encouragement de la transhumance.
f. La politisation des audits sous le « troisième régime » et de la traque des biens mal acquis sous le « quatrième régime » a été aussi une réalité qui a amplifié le phénomène de la transhumance politique.
g. La politisation de la passation des marchés publics, a contribué à la fabrication ex nihilo de milliardaires qui n’ont que le mérite d’être des alliés des détenteurs du pouvoir et a généré des pertes de ressources importantes du fait des surfacturations causes ou conséquences des versements de commissions à des serviteurs de l’État coupables d’un déficit de patriotisme. Grâce à ces commissions, pots de vin ou autres malversations facilitées par la neutralisation politique des Corps de contrôle et l’inefficacité des contrôles internes, le Sénégal est devenu un pays où paradoxalement des fonctionnaires sont plus riches que des industriels et hommes d’affaires producteurs de biens.
h. La politisation a aussi induit la non optimisation de l’emploi et de la gestion des ressources humaines qui a conduit à une baisse d’efficacité de l’Administration et au fait que le maximum d’efforts n’est pas fait pour obtenir que le Pays soit gouverné, dirigé ou servi par ses fils les plus vertueux, les plus compétents et les plus talentueux. Du même coup les gouvernants se sont privés de la présence à des postes de responsabilité d’Hommes courageux, pleins d’initiatives et patriotiques qui auraient, dans leur domaine, par l’effet de l’exemple, contribué efficacement à l’arrêt du fléchissement des valeurs morales dont l’« accaparement » est l’une des principales expressions.
i. La contractualisation et responsabilisation à des postes stratégiques au sein de la fonction publique de militants fortement engagés dans les partis politiques de la mouvance présidentielle a induit l’existence d’une importante « administration publique parallèle » formée par de nombreux agents non fonctionnaires.
j. La politisation combinée aux égoïsmes, à l’impunité sélective et au clientélisme a généré un problème de leadership (gouvernants et autorités communales) et une baisse de l’autorité de l’État avec des responsables qui, pour sauvegarder principalement des intérêts électoralistes, évitent de prendre des décisions impopulaires contribuant ainsi à la perpétuation de l’indiscipline sur les routes avec son cortège de morts ; à l’insalubrité et à l’encombrement des villes ; à la mendicité accompagnée d’une exploitation des enfants et impliquant des faux et vrais talibés, des handicapés et des personnes valides ; aux désordres et aux branchements électriques clandestins dans les marchés facteurs d’insécurité et autres nuisances à l’occasion de cérémonies privées.
k. La politisation des dépenses sociales dont une partie ne va pas vers les plus faibles, les plus démunis et les plus vulnérables mais sert à la fidélisation d’une clientèle politique.
l. La politisation de l’assistance aux communautés et institutions religieuses et traditionnelles avec d’importantes dépenses non régaliennes aux fins d’obtention d’un soutien électoral ou comme moyen de se mettre à l’abri des critiques de la mal gouvernance (« bouche pleine ne parle pas! »), génère des injustices à l’encontre des plus démunis et des frustrations pouvant être un frein à la préservation de la paix et de la cohésion sociales.
m. Une Instrumentalisation, politisation des Forces de Police (Gendarmerie nationale et Police nationale) et de l’Administration a été aussi notée au travers de missions occultes et de nominations simplement justifiées par laproximité avec les tenants du pouvoir au premier rang desquels le Président de la République. Depuis 2000, tel a été le cas pour des nominations au grade d’Officier général dans les Forces armées ou de jeunes colonels ont pu profiter de leurs relations avec ladite autorité pour « dribbler » leurs camarades plus anciens et pas moins méritants. C’est ce qui fait qu’actuellement beaucoup de fonctionnaires dans les administrations civile, judiciaire, militaire et policière ont tendance à cultiver leurs relations avec le Président de la République, les autorités gouvernementales, les politiciens, les guides religieux et les parents de ces derniers (leurs épouses notamment) afin de pouvoir être pistonnés au lieu de rivaliser par leur dévouement, leur disponibilité et leur désintéressement au service de leur organe employeur. C’est aussi ce qui justifie le fait que des fonctionnaires détachés auprès desdites autorités n’hésitent plus à s’accrocher à ces postes contre la volonté de leur autorité de commandement ou de direction.
Le fonctionnaire qui a été promu (grade ou fonction) non pour ses mérites mais principalement pour ses relations directes ou indirectes avec le détenteur du pouvoir de nomination perd d’une certaine manière son indépendance et a tendance à devenir l’« obligé » de ceux qui ont contribué à son avancement. Ces hauts fonctionnaires très attachés à leurs privilèges manquent très souvent de courage pour ne pas accepter d’exécuter des missions occultes au détriment des adversaires politiques, ou portant atteinte aux intérêts de l’État. Ils sont généralement égoïstes, sollicitent toujours plus d’avantages pour eux-mêmes sans se soucier de leurs subordonnés et de l’amélioration des moyens de fonctionnement des organes étatiques dont ils sont chargés, et sont trop ouverts aux interventions qui génèrent des injustices dans leurs actes de commandement, de direction ou de justice.
Colonel de Gendarmerie (r) Tabasky Diouf
Membre fondateur de l’Initiative Citoyenne « Jog Ngir Senegaal »
0 commentaires